samedi 28 février 2015

J'ai testé l'histoire de l'art en live à Beaubourg - partie 1

Envie d'améliorer votre culture générale ou de mieux comprendre l'art contemporain ? Le Centre Pompidou, le temple de l'art moderne à Paris, propose un cycle de conférences "Face aux œuvres", véritable formation appliquée afin de découvrir l'immense nouvelle collection permanente


J'ai fait partie des heureux inscrits et signé pour quatre rendez-vous en groupe, accompagnée d'une conférencière. Le cycle "Face aux œuvres" a le grand avantage de combiner visite guidée et exploration d'un angle particulier de l'histoire de l'art, ici le rapport entre l'art et l'objet depuis les années 80. 
Voici un aperçu des deux premières séances, sur le thème de l'art par l'objet et des nouveaux minimalistes, pour une promenade autour d’œuvres issues du monde entier, des années 80 à nos jours. 

L'art par l'objet


En faisant une oeuvre d'art avec un objet aussi trivial qu'un urinoir, Marcel Duchamp a bouleversé en 1917 les pratiques artistiques. Sans même juger de l'intérêt esthétique, il est maintenant acquis que tout objet et toute matière peut-être le point de départ d'une oeuvre. La démarche de l'artiste devient au moins aussi importante que l'objet : sélection, disposition, et modification (ou pas). L'objet peut ainsi être assemblé, modifié ou même présenté tel quel pour ce qu'il symbolise. En ce qui me concerne, je reste attachée à la beauté d'une oeuvre, et j'ai retenu les deux créations ci-dessous comme une façon de détourner un objet pour le sublimer. 

Mabunda Gonçalo, "O trono de um mundo sem revoltas", 2011


"Le trône d'un monde sans révolte" est une oeuvre composite qui assemble par soudures des armes de rebut issues de la guerre civile du Mozambique. L'artiste qui est né, vit et travaille au Mozambique a ainsi  transformé des objets chargés de violence, qui jonchaient littéralement les rues à la fin des années 90, en un nouvel objet qui porte la proposition d'un monde nouveau. Il s'agit bien ici de faire du beau avec du commun, dans une volonté de thérapie collective. Et au final, de proposer un objet à la fois fort, émouvant et ambigu. L'aspect royal du trône s'oppose à la trivialité d'un objet sur lequel on.. s'assoit. 

Damian Ortega, "Molécula de glucosa expendida", 1992/2007


Cette pièce suspendue reproduit la forme d'une molécule de glucose, réalisée à partir de capsules de bouteilles de soda. Il s'agit d'une oeuvre tautologique, c'est-à-dire que la forme finale représente la même chose que les éléments qui la constituent : du sucre. Originaire du Mexique, Damián Ortega raconte ainsi la transformation d'un pays et d'une culture confrontés à la surconsommation et ses conséquences, problèmes d'obésité mais aussi croissance organique et incontrôlée des bidonvilles. Il en résulte un objet fascinant qui se balance légèrement et dont les ombres participent à l'effet général, entre fascination et inquiétude.



Les nouveaux minimalistes


Le minimalisme est un courant artistique né dans les années 60 en réaction à l'expressionnisme abstrait, le plus souvent représenté par Jackson Pollock, pour lequel l'art capterait un moment, une trace de l'artiste et des mouvements de son corps. A contrario, le minimalisme défend des formes géométriques très simples, souvent des sculptures, sur lequel le regard glisse, et dont la disposition dans un espace est au moins aussi importante que l'oeuvre elle-même. Un résultat qui peut parfois paraître simpliste, mais dont la pureté me fait toujours de l'effet. Cette deuxième séance du cycle de conférences permettait ainsi de découvrir les nouveaux modes d'expression issus de ce courant qui marque encore l'art contemporain. 

Jean-Pierre Reynaud, "Container zéro", 1988-2014


Ceci est un container. Imposant, blanc, illuminé au néon. A l'intérieur, des carreaux brillants qui se referment sur eux-mêmes. Des lignes minimalistes donc qui cachent un usage surprenant. 
"Container zéro" a été conçu spécialement pour le Centre Pompidou, c'est une oeuvre in situ qui n'a pas vocation à être déplacée, contrairement à la vocation première d'un container. Jean-Pierre Reynaud, artiste plasticien connu pour le Pot Doré qui s'est tenu quelques années sur le parvis du musée, s'est aménagé ici rien de moins que son espace privé. Il a le privilège d'exposer au fond ce qu'il souhaite. Lorsque je suis tombée en arrêt sur cette pièce pour la première fois, il s'agissait d'une superbe photo noir et blanc d'un crâne humain, mais l'artiste y a également disposé des créations personnelles, l'échographie de son fils, des oeuvres d'autres artistes, ou encore les ruines de sa maison. 
Une surprise renouvelée à chaque fois qui s'arrêtera après sa mort, lorsque le fond sera bouché.  Je ne me lasse jamais de me retrouver devant ce bloc dont la lumière artificielle vous plonge dans l'univers de "2001, l'Odyssée de l'espace". 

Felix Gonzalez Torres, "Untitled (last light)", 1993


Terminons cette promenade par la découverte la plus déconcertante, qui pour moi illustre à quel point une oeuvre minimaliste doit parfois être expliquée pour en saisir sa beauté. Notre groupe arrive devant une guirlande. "C'est une guirlande avec 24 ampoules et un fil marron", nous déclare la conférencière. Typiquement le genre d'oeuvre qui m’agace d'entrée. Celles qui selon moi creusent un fossé entre le milieu des artistes et le public auquel il est censé s'adresser. 
Puis j'apprends qu'il s'agit d'une oeuvre hommage au compagnon de l'artiste, mort du Sida. Ce qui rend cette guirlande particulière, c'est qu'elle existe depuis plus de vingt ans et que se pose donc la question de sa conservation, de sa survie : l'ampoule s'éteint et il faut la remplacer, le fil a peut-être été endommagé... Au final on ne sait plus s'il reste une seule pièce d'origine à cette guirlande. Et la guirlande de la célébration évoque soudain dans le même temps l'idée de tristesse avec sa lumière douce et faible, et l'idée de l'extinction, puisque c'est au musée d'en prendre soin, l'artiste étant mort peu de temps après son compagnon. 
Un objet non modifié, présenté tel quel, mais avec lequel on partage soudain le désarroi de l'artiste face à tout ce qui disparaît. 



A l'issue de ce premier volet de "conférences en live", j'ai donc la chance de bénéficier d'un cours d'histoire de l'art de qualité tout en découvrant de visu des œuvres emblématiques, pour un prix tout à fait correct (environ 15 euros). Mais les places sont rares. Avec des cycles limités à 40 personnes, il faut vite repérer le programme sur le magazine Code Couleur ou sur le site internet du musée. Le public est composé d'amateurs d'art et de professionnels de la culture, le personnel est comme toujours charmant et impliqué, de l'accueil à la conférencière Camille, en passant par la responsable de l'accueil des publics. Ça échange, ça participe, ça donne son avis, bref tout ce qu'il faut pour passer un bon moment tout en apprenant plein de choses sur l'art contemporain, parfois déroutant, et les artistes et leurs œuvres en particulier.  

Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou
Place Georges-Pompidou, 75004 Paris
Métro Rambuteau
11 h – 21 h tous les jours sauf le mardi
Tarif plein 13 € ou 10 €